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commun s'en dégagera, et l'idée générale aura ainsi été sentie, subie, avant
d'être représentée. - Nous voici donc enfin affranchis du cercle où nous
paraissions enfermés d'abord. Pour généraliser, disions-nous, il faut abstraire
les ressemblances, mais pour dégager utilement la ressemblance, il faut déjà
savoir généraliser. La vérité est qu'il n'y a pas de cercle, parce que la ressem-
blance d'où l'esprit part, quand il abstrait d'abord, n'est pas la ressemblance où
l'esprit aboutit lorsque, consciemment, il généralise. Celle d'où il part est une
ressemblance sentie, vécue, ou, si vous voulez, automatiquement jouée. Celle
où il revient est une ressemblance intelligemment aperçue ou pensée. Et c'est
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précisément au cours de ce progrès que se construisent, par le double effort de
l'entendement et de la mémoire, la perception des individus et la conception
des genres, - la mémoire greffant des distinctions sur les ressemblances
spontanément abstraites, l'entendement dégageant de l'habitude des ressem-
blances l'idée claire de la généralité. Cette idée de généralité n'était à l'origine
que notre conscience d'une identité d'attitude dans une diversité de situations ;
c'était l'habitude même, remontant de la sphère des mouvements vers celle de
la pensée. Mais, des genres ainsi esquissés mécaniquement par l'habitude,
nous avons passé, par un effort de réflexion accompli sur cette opération
même, à l'idée générale du genre ; et une fois cette idée constituée, nous avons
construit, cette fois volontairement, un nombre illimité de notions générales. Il
n'est pas nécessaire ici de suivre l'intelligence dans le détail de cette cons-
truction. Bornons-nous à dire que l'entendement, imitant le travail de la
nature, a monté, lui aussi, des appareils moteurs, cette fois artificiels, pour les
faire répondre, en nombre limité, à une multitude illimitée d'objets indivi-
duels : l'ensemble de ces mécanismes est la parole articulée.
Il s'en faut d'ailleurs que ces deux opérations divergentes de l'esprit, l'une
par laquelle il discerne des individus, l'autre par laquelle il construit des
genres, exigent le même effort et progressent avec une égale rapidité. La
première, ne réclamant que l'intervention de la mémoire, s'accomplit dès le
début de notre expérience ; la seconde se poursuit indéfiniment sans s'achever
jamais. La première aboutit à constituer des images stables qui, à leur tour,
s'emmagasinent dans la mémoire la seconde forme des représentations insta-
bles et évanouissantes. Arrêtons-nous sur ce dernier point. Nous touchons ici à
un phénomène essentiel de la vie mentale.
L'essence de l'idée générale, en effet, est de se mouvoir sans cesse entre la
sphère de l'action et celle de la mémoire pure. Reportons-nous en effet au
schéma que nous avons déjà tracé. En S est la perception actuelle que j'ai de
mon corps, c'est-à-dire d'un certain équilibre sensori-moteur. Sur la surface de
la base A B seront disposés, si l'on veut, mes souvenirs dans leur totalité. Dans
le cône ainsi déterminé, l'idée générale oscillera continuellement entre le
sommet S et la base A B. En S elle prendrait la forme bien nette d'une attitude
corporelle ou d'un mot prononcé ; en A B elle revêtirait l'aspect, non moins
net, des mille images individuelles en lesquelles viendrait se briser son unité
fragile. Et c'est pourquoi une psychologie qui s'en tient au tout fait, qui ne
connaît que des choses et ignore les progrès, n'apercevra de ce mouvement
que les extrémités entre lesquelles il oseille; elle fera coïncider l'idée générale
tantôt avec l'action qui la joue ou le mot qui l'exprime, tantôt avec les images
multiples, en nombre indéfini, qui en sont l'équivalent dans la mémoire. Mais
la vérité est que l'idée générale nous échappe dès que nous prétendons la figer
à l'une ou l'autre de ces deux extrémités. Elle consiste dans le double courant
qui va de l'une à l'autre, - toujours prête, soit à se cristalliser en mots pronon-
cés, soit à s'évaporer en souvenirs.
Cela revient à dire qu'entre les mécanismes sensori-moteurs figurés par le
point S et la totalité des souvenirs disposés en AB il y a place, comme nous le
faisions pressentir dans le chapitre précédent, pour mille et mille répétitions de
notre vie psychologique, figurées par autant de sections A'B', AB', etc., du
même cône. Nous tendons à nous éparpiller en AB à mesure que nous nous
détachons davantage de notre état sensoriel et moteur pour vivre de la vie du
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rêve nous tendons à nous concentrer en S à mesure que nous nous attachons
plus fermement à la réalité présente, répondant par des réactions motrices à
des excitations sensorielles. En fait, le moi normal ne se fixe jamais à l'une de
ces positions extrêmes ; il se meut entre elles, adopte tour à tour les positions
représentées par les sections intermédiaires, ou, en d'autres termes, donne à
ses représentations juste assez de l'image et juste assez de l'idée pour qu'elles
puissent concourir utilement à l'action présente.
De cette conception de la vie mentale inférieure peuvent se déduire les lois
de l'association des idées. Mais avant d'approfondir ce point, montrons
l'insuffisance des théories courantes de l'association.
Que toute idée surgissant dans l'esprit ait un rapport de ressemblance ou
de contiguïté avec l'état mental antérieur, c'est incontestable ; mais une affir-
mation de ce genre ne nous renseigne pas sur le mécanisme de l'association, et
même, à vrai dire, ne nous apprend absolument rien. On chercherait vaine-
ment, en effet, deux idées qui n'aient pas entre elles quelque trait de ressem-
blance ou ne se touchent pas par quelque côté. S'agit-il de ressemblance ? Si
profondes que soient les différences qui séparent deux images, on trouvera
toujours, en remontant assez haut, un genre commun auquel elles appartien-
nent, et par conséquent une ressemblance qui leur serve de trait d'union.
Considère-t-on la contiguïté ? Une perception A, comme nous le disions plus
haut, n'évoque par « contiguïté » une ancienne image B que si elle nous
rappelle d'abord une image A' qui lui ressemble, car c'est un souvenir A', et
non pas la perception A, qui touche réellement B dans la mémoire. Si éloignés
qu'on suppose donc les deux termes A et B l'un de l'autre, il pourra toujours
s'établir entre eux un rapport de contiguïté si le terme intercalaire A' entretient
avec A une ressemblance suffisamment lointaine. Cela revient à dire qu'entre
deux idées quelconques, choisies au hasard, il y a toujours ressemblance et
toujours, si l'on veut, contiguïté, de sorte qu'en découvrant un rapport de
contiguïté ou de ressemblance entre deux représentations qui se succèdent, on
n'explique pas du tout pourquoi l'une évoque l'autre.
La véritable question est de savoir comment s'opère la sélection entre une
infinité de souvenirs qui tous ressemblent par quelque côté à la perception
présente, et pourquoi un seul d'entre eux, - celui-ci plutôt que celui-là, -
émerge à la lumière de la conscience. Mais à cette question l'associationnisme
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ne peut répondre, parce qu'il a érigé les idées et les images en entités indépen-
dantes, flottant, à la manière des atomes d'Épicure, dans un espace intérieur, se
rapprochant, s'accrochant entre elles quand le hasard les amène dans la sphère
d'attraction les unes des autres. Et en approfondissant la doctrine sur ce point,
on verrait que son tort a été d'intellectualiser trop les idées, de leur attribuer un
rôle tout spéculatif, d'avoir cru qu'elles existent pour elles et non pour nous,
d'avoir méconnu le rapport qu'elles ont à l'activité du vouloir. Si les souvenirs [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]

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