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consultation et le forçait de s'asseoir dans cette illustre chaise longue sur laquelle avaient passé quarante
années de maladies napolitaines.
Puis l'y tenant enfoncé:
"Je vois ce que c'est, vous avez mal aux dents. C'est cela! Vous avez très mal aux dents."
Il tira de sa trousse une énorme clé de dentiste, lui ouvrit de force la bouche toute grande et d'un tour de la clé
lui arracha une dent.
Ascanio s'enfuit en crachant tout le sang de sa mâchoire et le professeur Giacomo Tedeschi criait avec une
joie féroce:
"Une belle dent! une belle, une très belle dent!..."
LES JUGES INTEGRES
A Madame Marcelle Tinayre
"J'ai vu, dit Jean Marteau, des juges intègres. Ce fut en peinture. J'avais passé en Belgique pour échapper à un
magistrat curieux, qui voulait que j'eusse comploté avec des anarchistes. Je ne connaissais pas mes complices
LES JUGES INTEGRES 49
Crainquebille, Putois, Riquet et plusieurs autres récits profitables
et mes complices ne me connaissaient pas. Ce n'était pas là une difficulté pour ce magistrat. Rien ne
l'embarrassait. Rien ne l'instruisait et il instruisait toujours. Sa manie me parut redoutable. Je passai en
Belgique et je m'arrêtai à Anvers, où je trouvai une place de garçon épicier. Un dimanche, je vis deux juges
intègres dans un tableau de Mabuse, au musée. Ils appartiennent à une espèce perdue. Je veux dire que ce
sont des juges ambulants, qui cheminent au petit trot de leur bidet. Des gens d'armes à pied, armés de lances
et de pertuisanes, leur font escorte. Ces deux juges, chevelus et barbus, portent, comme les rois des vieilles
Bibles flamandes, une coiffure bizarre et magnifique qui tient à la fois du bonnet de nuit et du diadème. Leurs
robes de brocart sont toutes fleuries. Le vieux maître a su leur donner un air de gravité, de calme et de
douceur. Leurs chevaux sont doux et calmes comme eux. Pourtant ils n'ont, ces juges, ni le même caractère ni
la même doctrine. Cela se voit tout de suite. L'un tient à la main un papier et montre du doigt le texte. L'autre,
la main gauche sur le pommeau de la selle, lève la droite avec plus de bienveillance que d'autorité. Il semble
retenir entre le pouce et l'index une poudre impalpable. Et ce geste de sa main soigneuse indique une pensée
prudente et subtile. Ils sont intègres tous deux, mais visiblement le premier s'attache à la lettre, le second à
l'esprit. Appuyé à la barre qui les sépare du public, je les écoutai parler. Le premier juge dit:
"Je m'en tiens à ce qui est écrit. La première loi fut écrite sur la pierre, en signe qu'elle durerait autant que le
monde."
L'autre juge répondit:
"Toute loi écrite est déjà périmée. Car la main du scribe est lente et l'esprit des hommes est agile et leur
destinée mouvante."
Et ces deux bons vieillards poursuivirent leur entretien sentencieux:
PREMIER JUGE. La loi est stable.
SECOND JUGE. En aucun moment la loi n'est fixée.
PREMIER JUGE. Procédant de Dieu, elle est immuable.
SECOND JUGE. Produit naturel de la vie sociale, elle dépend des conditions mouvantes de cette vie.
PREMIER JUGE. Elle est la volonté de Dieu, qui ne change pas.
SECOND JUGE. Elle est la volonté des hommes, qui change sans cesse.
PREMIER JUGE. Elle fut avant l'homme et lui est supérieure.
SECOND JUGE. Elle est de l'homme, infirme comme lui, et comme lui perfectible.
PREMIER JUGE. Juge, ouvre ton livre et lis ce qui est écrit. Car c'est Dieu qui l'a dicté à ceux qui
croyaient en lui: Sic locutus est patribus nostris, Abraham et semini ejus in saecula.
SECOND JUGE. Ce qui est écrit par les morts sera biffé par les vivants, sans quoi la volonté de ceux qui
ne sont plus s'imposerait à ceux qui sont encore, et ce sont les morts qui seraient les vivants, et ce sont les
vivants qui seraient les morts.
PREMIER JUGE. Aux lois dictées par les morts les vivants doivent obéir. Les vivants et les morts sont
contemporains devant Dieu. Moïse et Cyrus, César, Justinien et l'empereur d'Allemagne nous gouvernent
encore. Car nous sommes leurs contemporains devant l'éternel.
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Crainquebille, Putois, Riquet et plusieurs autres récits profitables
SECOND JUGE. Les vivants doivent tenir leurs lois des vivants. Zoroastre et Numa Pompilius ne valent
pas, pour nous instruire de ce qui nous est permis et de ce qui nous est défendu, le savetier de Sainte-Gudule.
PREMIER JUGE. Les premières lois nous furent révélées par la Sagesse infinie. Une loi est d'autant
meilleure qu'elle est plus proche de cette source.
SECOND JUGE. Ne voyez-vous point qu'on en fait chaque jour de nouvelles, et que les Constitutions et
les Codes sont différents selon les temps et selon les contrées?
PREMIER JUGE. Les nouvelles lois sortent des anciennes. Ce sont les jeunes branches du même arbre, et
que la même sève nourrit.
SECOND JUGE. Le vieil arbre des lois distille un suc amer. Sans cesse on y porte la cognée.
PREMIER JUGE. Le juge n'a pas à rechercher si les lois sont justes, puisqu'elles le sont nécessairement. Il
n'a qu'à les appliquer justement.
SECOND JUGE. Nous avons à rechercher si la loi que nous appliquons est juste ou injuste, parce que, si
nous l'avons reconnue injuste, il nous est possible d'apporter quelque tempérament dans l'application que
nous sommes obligés d'en faire.
PREMIER JUGE. La critique des lois n'est pas compatible avec le respect que nous leur devons.
SECOND JUGE. Si nous n'en voyons pas les rigueurs, comment pourrons-nous les adoucir?
PREMIER JUGE. Nous sommes des juges, et non pas des législateurs et des philosophes.
SECOND JUGE. Nous sommes des hommes.
PREMIER JUGE. Un homme ne saurait juger les hommes. Un juge, en siégeant, quitte son humanité. Il se
divinise, et il ne sent plus ni joie ni douleur.
SECOND JUGE. La justice qui n'est pas rendue avec sympathie est la plus cruelle des injustices.
PREMIER JUGE. La justice est parfaite quand elle est littérale.
SECOND JUGE. Quand elle n'est pas spirituelle, la justice est absurde.
PREMIER JUGE. Le principe des lois est divin et les conséquences qui en découlent, même les moindres,
sont divines. Mais si la loi n'était pas toute de Dieu, si elle était toute de l'homme, il faudrait l'appliquer à la
lettre. Car la lettre est fixe, et l'esprit flotte.
SECOND JUGE. La loi est tout entière de l'homme et elle naquit imbécile et cruelle dans les faibles [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]

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